Thứ Ba, 22 Tháng Năm, 2012

Hommage à Diễm Châu

Ils étaient quelques-uns à se retrouver au Fec le 13 avril 2007, pour rendre un bel hommage à Diem Chau, dans la discrétion. Des amis et des connaissances de Diem Chau ont lu des textes et ont rendu témoignage : simple et sincère.

Avec son saxophone, Pierre Zeidler avait alors accompagné les intervenants : Armand Peter, Mme Schaeffer, et tous ceux dont nous reproduisons les textes dans ce dossier.

    
    Le 19 août 1983, jour anniversaire de la Révolution d’automne au Vietnam, Joseph Alphonse Van Rao Pham, son épouse et ses trois enfants posent leurs valises à Strasbourg. Epris de liberté, reconnu comme un grand poète dans son pays d’origine et par l’importante diaspora, surtout parmi la jeune génération, Diem Chau de son nom de plume mène depuis cette date une vie discrète dans sa ville d’accueil, tout en s’intéressant de près à ce qui s’y passe dans le domaine littéraire et culturel.

    Travailleur infatigable, à côté de son œuvre de poète , il déploie une activité imposante de traducteur. Recenser les poètes que Diem Chau a traduits serait fastidieux, tant la liste est longue. Citons les Français Cendrars, Soupault, Prévert, Maxime Alexandre , Bonnefoy, Bayo, les auteurs de langue allemande comme Celan, Bobrowski, Meister, les Roumains Blaga, Sorescu, Blandiana et Badescu, l’Italien Ungaretti, les Grecs Cavafy et Ritsos, les Tchèques Holan et Seifert, les auteurs d’expression espagnole comme Borges, Juarroz ou Vallejo, l’Indien Tagore, le Portugais Pessoa, la Polonaise Szymborska, les Russes Brodsky et Tsvetaïeva, le Libanais Adonis, le Suédois Tranströmer, les Israéliens Amichai et Pagis, le Palestinien Darwich, les Américains Sandburg ou Grinsberg, ect…Diem Chau les traduit souvent à partir du texte original : il lit les langues romanes et l’allemand, sans parler du français et de l’anglais qu’il maîtrise ou des langues asiatiques. Il a édité la première version vietnamienne d’Une Saison en enfer  de Rimbaud. Il est l’auteur, dans sa langue, d’une anthologie des poètes expressionnistes allemands, dans laquelle figure Fahrt über die Kölner Rheinbrücke bei Nacht d’Ernst Stadler, comme de plusieurs autres anthologies qui rassemblent des poètes contemporains polonais, espagnols, africains, palestiniens, ect…

    Issu d’une vieille famille catholique, il compte des martyrs parmi ses ancêtres. L’un d’eux, dans sa prime jeunesse, pour avoir refusé d’enjamber un crucifix posé à terre, fut condamné à être piétiné à mort par un éléphant. Il est né 1937 dans l’ancien Tonkin, sur le delta du Fleuve Rouge, à Haiphong, une ville portuaire que les Français ont développée à la fin du 19e  siècle et qui leur servit de base pour la colonisation du pays, alors que les jésuites avaient commencé dès le 17e siècle à évangéliser la région. Il a fait ses études secondaires au Nord et au Sud du Vietnam, ses études universitaires à Saigon où il a obtenu une licence d’enseignement de l’anglais et aux Etats-Unis (Indiana University) où il est devenu « master » en linguistique appliquée. Là, il découvrit, dans les années soixante, les dessins de Tomi Ungerer dans la revue d’avant-garde Evergreen ! Il a enseigné l’anglais technique à l’Université polytechnique de Saigon, la littérature américaine et la littérature vietnamienne contemporaine à l’Université de Hué. Et à Strasbourg, avant de prendre sa retraite en 1997, il a exercé divers métiers : employé auxiliaire à la bibliothèque municipale, professeur de vietnamien au lycée Fustel de Coulanges, entre autres.

    En relation constante avec ses amis établis sur tous les continents, Diem Chau se tient au courant des publications récentes en matière de poésie. Ses traductions paraissent le plus souvent dans la maison de Trinh Bay, aux destinées de laquelle il veille avec un groupe de jeunes écrivains et poètes d’origine vietnamienne. Les livres sont diffusés au Vietnam sous le manteau et dans les grandes villes de la diaspora comme New-York, Paris, Londres, Sydney. Il collabore également à nombre de revue et de sites Internet.

     En Alsace, Armand Peter, le premier, l’a fait sortir de l’ombre en lui donnant la parole lors d’une rencontre de Mitteleuropa, en octobre 1997 à Schiltigheim. Diem Chau y a lu des traductions en vietnamien de quelques poètes des pays de l’Est, ainsi qu’une traduction française de l’un de ses propres textes, un poème poignant sur l’exil.

     Personnage étonnant de culture et de finesse, doué d’un sens de l’humour et de la relativité des choses très prononcé, sa connaissance de la poésie mondiale relève de l’encyclopédie. Le rencontrer est stimulant et en enrichissant. Il vous parle de ses découvertes : un poète polonais complètement inconnu, un poète irlandais oublié. Il vous vante la beauté de la poésie africaine. Il vous compare les traductions française et anglaise de tel vers de Celan. Il vous fustige les traducteurs infidèles, les peu méticuleux, les arrangeurs de textes à leur façon. Il vous pointe les similitudes dans les légendes chinoises et alsaciennes. Et dans un grand éclat de rire, il vous déclare que sa petite-fille de quatre ans, dont le deuxième prénom est Yen-Sa qui signifie Alsace, mais aussi sable et fumée symbolisant la fin du voyage, oui, il vous déclare que sa petite-fille parle l’alsacien ! 

1999
R. R.


La mort bien rétablie


Aux ouvriers vietnamiens en Europe de l’Est


A l’heure du destin
ou d’un petit déjeuner littéraire 
tour à tour nous sommes appelés
à parler de notre minorité à nous-
troupes humaines perdues
en Allemagne Bosnie Pologne
Roumanie Tchécoslovaquie… en Europe
partout sur cette terre

Parmi les ‘sculpteurs de l’exil et du déracinement’
les ‘gitans métaphysiques au jour le jour’
les fantômes de poètes qui viennent de rentrer
du camp de mort du camp de travail glorieux de tous ces pays
je parle de l’expérience d’une minorité absolue
celle d’un seul l’homme
broyé entre deux mondes…

Et quand tu élèves ton ‘chant oriental’ mystérieux
adoucissant les blessures de la fraternité
j’entends les épines du réel de ma vie
se serrer à l’intérieur ; 
les veines pâles
charrier des îlots de cellules errantes…

N’y a-t-il plus de ponts lancés vers votre Europe
et comment, j’entends toujours, sous les lames
de fond, les voix des oiseaux ?
est-ce qu’il nous reste encore des mains qui se tendent
vers une Asie lointaine
mais pourquoi tombent les feuilles, l’une après l’autre,
dans mon cœur ?

Minorité d’un seul homme !
Dans le silence la lâcheté complices 
la mort est bien rétablie.
Diem Chau (1997)



Le bourg des chemins

En suivant Gustave Doré à travers les chemins tortueux
j’arrive au clocher rose anesthésié sous un drapeau en berne
Adieu aux nuages d’artiste – aux trottoires de vieilles pierres
qui flottent dans la mémoire déjà ancienne !

Ville aux échos des pas ferrés d’outre-Rhin
Ville aux ruines entourées de fantômes de seigneurs
Ville aux grappes de cloches qui se répandent
     dans la nuit couleur feuille flétrie 
Ville aux jardins de roses qui rêvent dans la vallée bleue

Ville aux barbes sombres sous le pauvre soleil
Ville au clocher plongé dans la brume
     au souvenir de l’herbe cotonneuse de l’été
Ville d’une mère, qui, tenant les corps de ses deux fils,
     devient l’autre statue de pierre

En suivant les brins d’herbe cotonneuse 
     flottant dans la mémoire
je fourre hâtivement la chaîne des tristes jours
     dans la poche d’un muet
écoutant les vagues silencieuses défoncer la cage du vent
Diem Chau (1985)



Un homme – livre
Par Isabelle Baladine-Howarld

    Je ne l’ai connu que sous son nom de plume : Diem Chau

    Diem Chau c’est, dès que je pense à lui ou crois le voir encore, une silhouette un peu cassée, de dos, ses cheveux blancs raides dépassant légèrement de son col.
    Qu’attendait-il, ainsi, ou allait-il, et d’où venait-il ainsi, je ne le sais pas.
    Il se tenait, de dos, penché sur les livres de la table de poésie, à la librairie où je travaille.
    Mais avec un si bon sourire, quand j’allais le saluer.
    Diem Chau était secret, ne livrant que peu de sa vie et l’effaçant presque aussitôt avec un geste gêné. Non que cela ne comptait pas, mais pour ne pas peser sur l’autre, parlant plus volontiers de littérature et plus présisément de poésie. Et cela, au fond, me convenait tout à fait.
    Nous partagions donc tacitement ce silence miraculeux, propre aux amis, cet ordre d’aller directement aux livres.
    - « Qu’est-ce que tu traduis ? »
    - « Et toi, qu’est-ce que tu écris ? »
    Assis des heures dans un café, il me questionnait inlassablement sur le sens de tel ou tel mot, de telle ou telle phrase. J’étais toujours épuisée avant lui. Il allait au fin fond du sens. Ne lâchait pas tant que tout n’était pas limpide pour lui, dans sa langue. Posais parfois d’étranges questions, apparemment sans rapport, mais qui l’aidait lui à comprendre.
    Je savais peu de chose de sa vie, il avait confié à quelques uns d’entre nous les moments les plus difficiles, sinon restait très discret, nos échanges concernaient essentiellement la poésie. 
    J’ai eu la chance qu’il me traduise et que nous travaillions ensemble avec acharnement à trouver le mot le plus juste.
    Là où je n’avais, moi, plus aucun savoir.
    Là où je lui faisais une confiance totale.
  Qu’il me traduise avec tant d’obstination m’honorait profondément. J’avais bien essayé de l’endissuader mais il était très obstiné !
    Parfois, si je répondais à une de ses questions en lui disant « je ne sais pas », il répondait vivement « comment ça, tu ne sais pas ? » et ne me croyait pas.
  Traduire est toujours une expérience difficile mais souvent très gaie. Tant de mots, d’expressions n’existent pas dans la langue de l’autre. Comment faire alors ? Essayer, emboîter, déboîter, tourner, retourner. Garder le sens, et le rythme, en déconstruisant tout le reste. Jouer aussi.
    Diem Chau traduisait, on l’a souvent dit, sans relâche, jusqu’à l’épuisement, mais je suis certaine que là était sa vie, la justification de sa vie, et que l’épuisement lui importait peu. Nous nous inquiétions tous pour lui, parfois très fatigué, absent, presque égaré, mais il balayait cette inquiétude non sans agacement et c’est vrai, de quoi nous mêlions-nous.
    Quinze jours avant sa mort, à sa demande empressée alors que nous approchions de Noël et que j’avais beaucoup de travail, nous avons travaillé plus de deux heures un soir – c’est moi qui ai demandé grâce, j’avais le cerveau vide à force de réfléchir à ses exigeantes questions !
    Ce fut la séance de travail la plus joyeuse. Il saisissait très vite la moindre nuance, j’avais à peine le temps de dire trois mots qu’il m’interrompait d’un geste, me signifiant qu’il avait compris. Nous travaillions vite et intensément.
    Parfois au bord de l’oubli, quand l’un et l’autre ne savaient plus quoi dire, le sens émergeait, quel rire, quel étonnement commun alors ! Mais oui c’était ça, comment n’y avons nous  pas pensé plus tôt… chacun se sentait dépassé par la langue mais aussi plein de gratitude envers elle.
    Il trouvait mon travail très métaphysique, « ça c’est philo » disait-il alors, perplexe, ce qui avait le don de me faire sourire… Ce « ça, c’est philo » est devenu une phrase fétiche entre nous, dès qu’une difficulté surgissait.
    Il avait terminé de traduire deux livres que j’avais écrits, sur d’improbables petits carnets fabriqués par ses soins à l’aide de papiers colorés, qu’il récupérait ici ou là, souvent déjà imprimés d’un côté. Il semble que ces carnets n’aient pas été retrouvés. Est-ce dommmage, je ne sais pas. Il ne me déplait pas de penser qu’ils ont traversé une frontière clandestine et lointaine avec lui, cousus dans une poche.
    Nous devions nous voir en janvier, il voulait encore vérifier des points de syntaxe. La mienne l’intriguait (elle m’intrigue aussi !). Je suis sûre que comme à chaque fois, il m’aurait beaucoup appris de mon propre travail.
    Les traducteurs sont des gens modestes, merveilleux et indispensables.
  Je m’étais dit qu’à l’occasion de ce travail sur la syntaxe je lui offrirai un beau carnet noir en moleskine, comme le poète qu’il était le méritait. Il semblait savoir que la fin ne tarderait pas, il voulait multiplier les séances, je n’ai pas protesté, alors que je le taquinais souvent.
        Nous ne discuterons jamais de syntaxe. Je ne saurai peut-être jamais, sans lui, pourquoi je brise le verbe.
    Je n’ai pas eu le temps de lui offrir ce beau carnet.
   Diem Chau marchait en boitant légèrement. Dans l’air froid de décembre, sortant du café enfumé, heureux ensemble d’avoir bien travaillé, j’ai pris son bras et nous avons marché sans rien dire. Ensuite il a rejoint son arrêt de bus, moi le mien, d’où je l’ai vu s’éloigner, dans la nuit et le broullard. J’avais le cœur serré, je ne savais pas pourquoi.
    Mais le cœur sait toujours avant nous ce que le terrible réel prépare.
   Je n’oublierai pas les petites fumées, bleutées, fragiles, parfumées, selon la tradition vietnamienne, enfoncés dans le sable, au bord de la tombe ouverte, dans l’air froid de l’hiver alsacien. C’était d’une grande beauté.
    Seul un homme peut provoquer cette beauté. Seul cet homme là, s’éloignant, peut-être traduisant un chant encore inconnu de nous.

I. B-H., avril 2007



Témoignage
Par Albert Hari

    En été 1983, un ami vietnamien de Paris nous signale, à mon épouse et à moi-même, l’arrivée prochaine d’une famille de Saigon à Strasbourg. Il nous suggère de prendre contact avec eux. Ils arrivent fin août.
    Ainsi leurs deux filles Quoc-Chuong et Anh et leur fils Quynh Nhu pourront commencer l’année scolaire en septembre. 
    Notre premier contact eut lieu dans un foyer d’hébergement situé au fossé des Treize qu’ils ont quitté au printemps pour aller habiter dans un appartement rue Tacite.
        Nous sommes restés en contact avec eux ainsi que d’autres amis qui sont ici ce soir ou qui se sont excusés.
    Nous avons eu la joie de participer aux fêtes familiales, aux mariages, aux baptêmes. Nous avons admiré la réussite de leurs enfants comme professeur agrégée de mathématique comme directrice de recherche en physique nucléaire et comme médicin. Nous nous sommes réjouis de la naissance des six petits-enfants. Nous sommes devenus et restés amis.
    Pham Rao et moi-même nous nous rencontrions régulièrement, mois après mois, année après année, pour échanger sur ses réalisations de poète et de traducteur ainsi que sur mes travaux.
    Il m’a permis d’insérer un certain nombre de ses poèmes dans une édition de la Bible pour l’an 2000.
    M. Pham arrivait d’habitude chez nous avec un sachet de plastique renfermant les trésors dont il voulait parler… Il nous a appris beaucoup sur la littérature européenne et japonaise, et même sur les poètes alsaciens. Il nous a fait découvrir la situation et  l’histoire du Vietnam ainsi que la foi de ses ancêtres dont certains sont morts martyrs.
    Un jour il sortit de son sac une petite brochure de ses poèmes. Il me l’a offerte en disant : « C’est déjà la deuxième édition. » puis il a ajouté : «  La première édition comportait trois exemplaires. »
     Une autre fois il m’a demandé l’autorisation de traduire un cahier sur le livre de Job, intitulé « Cris des hommmes et langue de bois. ».  Il me semble bien que la raison de son choix n’était pas le titre de cahier, mais la situation difficile de Job dans laquelle lui et tous les humains pouvaient se retrouver.
    Je me souviens également d’un voyage que nous avions fait à Heildelberg pour y rencontrer le père Phan Khac Tu, une connaissance commune grâce à la JOC. Il était le seul député chrétien à l’assemblée nationale de Hanoï. Il s’occupe aujourd’hui d’un centre pour les enfants vietnamiens difformes ou handicapés à cause des parents victimes de la chimie mortifère de la guerre.
    J’ai senti chez Pham Rao (Diem Chau) un souci constant de donner accès aux Vietnamiens à la littérature et à la poésie du monde, de l’Europe et aussi de l’Alsace. Combien de fois ne lui ai-je pas dit : « Pour cela tu mériterais le prix Nobel. »
    Je regretterai toujours notre dernière rencontre. Elle était impromptue et trop brève, car nous disposions de peu de temps. Je lui ai alors donné la dernière épreuve d’un ouvrage à paraître afin de pouvoir en parler avec lui dans la suite. Il n’y eut pas de suite. J’ai cependant appris qu’il avait lu le texte jusqu’au bout. Piètre réconfort.
    Enfin, je voudrais partager avec vous ce qu’un jour il a un partagé avec moi. Revenant de la Grande Bretagne il m’a remis une carte postale de Chester, représentant une sculpture qu’il aimait beaucoup. Il l’avait contemplée longuement sur place. Elle représente Jésus assis par terre. En face de lui, au dessus de lui se penche la Samaritaine : les deux visages se regardent et les quatre mains tiennent une même coupe. Impossible de dire qui donne à boire à qui. Sur la base de la sculpture est gravée la phrase suivante « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante en vie éternelle. » (Jn 4, 14).
    Merci Pham pour ton amitié, pour ce que tu nous a apporté, pour tout ce que ton travail a apporté et apportera encore aux vietnammiens et à l’Humanité. 
    Puisse cela aussi devenir une source jaillissante de vie. 

Strasbourg, FEC, 13/04/07
A. H.


Un ami qui passe

    En ce 28 décembre 2006, une dernière fois il me faisait signe quand j’appris la nouvelle de sa disparition. C’était comme si j’avais laissé s’absenter quelqu’un au dehors, quelqu’un qui ne répondrait plus de son absence. Je restais et je reste encore avec la seule certitude de n’avoir pu le retenir, ni l’accompagner sous ce ciel froid de décembre où l’ombre seule de l’ami qui passe pouvait à ce point obscurcir la fin du jour.
    De cette amitié, le lent travail dans le temps ne saura de si tôt s’achever. Maintenant il me faut dire avec ceux qui ont croisé sa silhouette et l’ont considérée comme l’un des visages familiers des lieux de poésie à Strasbourg, combien je suis attristé par la disparition de Diem Chau avec lequel j’ai passé de rares moments d’échange dans la connivence avec la poésie qui ne connaissait pas à ses yeux de frontière.
    Malgré sa santé devenue précaire, il se déplaçait encore en ville. En juin dernier alors qu’il marchait avec une canne, je l’avais accompagné à une lecture à l’Hôtel de ville, pour la sortie de « Coma », le dernier livre de Pierre Guyotat. Sur le chemin de retour, il m’avait parlé d’un poète péruvien qui devait venir à Strasbourg. Il était toujours en attente d’une nouvelle rencontre, une poignée de main, le regard de l’autre et la traduction qui occupait sa vie.
    Il ne sera plus là pour se pencher sur les textes de tous ces poètes du monde entier qu’il a fait connaître au Vietnam et aillleurs. Mais déjà, il nous tend la main par-dessus le vide, son absence nous fait signe de poursuivre le chemin du poème qui ne cesse de s’écrire à travers le temps.
    « Si tu ne cesse de m’interroger, c’est quoi la poésie
 je mordrai mes lèvres au sang et je dirai : la rose écarlate de mon cœur. »

J’ai relu ces vers tirés de la plaquette de poèmes qu’il m’avait offerte « Errances » et dont j’avais eu la chance d’entendre la lecture dans sa langue même, si étonnamment musicale, il y a quelques années déjà lors du mémorable premier marché de la poésie à Strasbourg. Ainsi je garderai l’image infiniment discrète d’une silhouette s’avance, penchée vers ce qui n’apparaît qu’aux « êtres attentifs », ces cadeaux que sont les poèmes « qui portent avec eux un destin ». Que ces quelques mots de Paul Celan trouvent ici leur écho, en hommage à cet ami disparu.
Que ces quelques lignes puissent témoigner de l’attention véritable que Diem Chau, cet homme si modeste, portait à la poésie. « La poésie, m’avait-il dit, c’est d’abord un regard, un regard à hauteur d’homme, c’est le visage des hommes debout. »

Alain Fabre-Catalan



Diem Chau,
                 In memoriam


Diem Chau, Joseph,
passe-muraille, passe les interdits
et sa voix chante sur la pointe des pieds,
fragile, solide, escalade en se jouant
les interdits, moque les thuriféraires, Diem,
l’autre, pas celui du pouvoir, de n’importe quel 
pouvoir, mais celui
de son pays en lien télépathique, du haut 
de son HLM, rue Tacite, Diem répond,
renvoie le pigeon voyageur
avec, aux pattes, pour ses frères
une cargaison nouvelle d’aides à vivre-poèmes
pêché dans toutes les langue, dont l’alsacien

C’est Diem qui tamise le sable de toutes les surfaces, 
trouve, distribue la perle universelle de la beauté.
 


Claude Vancour,

Avril 2007

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